mercredi 16 novembre 2011

Le sloughi, la fierté du patrimoine culturel tunisien - Raouf Ochi, Tunisie



Raouf Ochi, Tunisie
Texte et photos © Raouf Ochi 2010
 

          Ce très beau chien de race pure, aux poils ras et aux oreilles tombantes, élancé et musclé, fier et noble de caractère, constitue un élément très important de notre patrimoine culturel. En effet, il meuble une bonne partie de notre littérature orale. Il est présent en tant que personnage vénéré dans de nombreuses légendes, et notre imaginaire collectif a fait de lui une composante non négligeable de notre mémoire collective culturelle, en témoigne le nombre considérable de proverbes à son sujet.
 
Expérience personnelle avec le sloughi : 
 
          Le sloughi, mon ami d’enfance : Quand j’étais enfant, j’étais toujours entouré de sloughis, chiots et adultes. Ma mère me raconta plus tard que c’était mon grand-père (son père à elle) qui était passionné de sloughi : Un jour, il avait pris les bijoux de sa femme pour les vendre, et avec l’argent, il est allé en voyage vers le sud tunisien pour acheter un sloughi. C’était grâce à lui que la tradition de la chasse au sloughi s’était instaurée dans notre famille et depuis, elle est transmise de génération en génération.
          Moi, j’ai pris la relève après mon oncle et je suis en train de transmettre cette passion à mon fils. Le premier sloughi qui honora de sa présence le village des Ochi (à 3 km de Bou-Salem, une petite ville située au Nord-Ouest de la Tunisie dans la vallée de la Medjerda) avait une robe sable clair avec masque au museau. Il avait le droit de manger à table avec mon grand-père.
          Une fois, il alla à la chasse, et en passant par la ferme d’un colon français qui avait des gazelles, son sloughi se mit à courir derrière une d’elles. Alors, le colon sortit avec son fusil et se mit à viser le sloughi pour l’abattre. Mon grand-père courait le doigt sur la gâchette de son fusil avertissant le colon que s’il abattait le sloughi, il n’hésiterait pas à tirer sur lui.
          Heureusement qu’il n’y ait pas eu de poursuite juridique contre mon grand-père grâce à l’intervention d’un homme très influent à l’époque (un Ochi, grand propriétaire foncier). 
          Je raconte cet incident pour corroborer un proverbe tunisien qui dit littéralement que « les sloughis vivent dans les têtes des fous », et mon grand-père en était un, et bien évidemment chaque « sellag » (éleveur de sloughis) appartient à cette race de fous.
 
    Le sloughi, mon compagnon de chasse : Avant d’atteindre l’âge de 14 ans, on m’avait toujours interdit d’aller à la chasse. J’étais trop petit et mes os étaient encore trop mous pour endurer de longues marches à travers champs et collines à la recherche de lièvres, de renards et de chacals. Puis vint enfin le grand jour où je fus autorisé à y aller avec mon oncle Loubiri qui était le « sellag » le plus connu dans la région de Bou-Salem. Je me rappelle qu’à cette époque, il y avait un joueur de l’équipe de football de Bou-Salem qu’on surnommait « le sloughi de Loubiri » tellement il courait très vite.
 



        
  Les parties de chasse me sortaient de l’espace clos de la ville et m’ouvraient d’autres horizons auxquels je n’avais pas pensé : Mon contact avec la nature est né de cette merveilleuse chasse traditionnelle, naturelle et écologique. Mon oncle m’avait tout appris de l’art de la chasse au sloughi et j’étais un élève très passionné, tellement passionné que, plus tard, quand j’étais étudiant en Allemagne et quand j’avais la nostalgie du pays, je ne rêvais que de scènes de chasse que j’avais vécues pendant l’âge d’adolescence. 
 



         
A mon retour au pays, je me suis pressé de renouer avec cette grande passion en achetant 2 sloughis (un mâle et une femelle) d’un couple allemand (les Bergmann) qui vivait à Ghardimaou, une petite ville frontalière au Nord-Ouest de la Tunisie à une bonne heure de voiture de Bou-Salem.
          Une fois, mes fidèles sloughis m’ont sauvé d’un sanglier qui m’avait chargé en l’attaquant à la dernière seconde et en déviant sa trajectoire à environ 15 mètres de mon corps figé et paralysé de peur. Quel assaut spectaculaire ils ont fait ! Sans eux, j’étais vraiment perdu.
 
Le sloughi tunisien en voie de disparition :
          Avant, il y a quelques décennies, de l’époque de mon grand-père, le sloughi était le prince du désert et le sud tunisien en abondait. Le Festival International de Douz est une manifestation culturelle qui témoigne d’une grande tradition d’élevage de sloughi et une partie de ses programmes est consacrée à la chasse au sloughi. Malheureusement, le sud connaît de nos jours une forte baisse de la population de ces nobles chiens de chasse ainsi qu’une dégradation progressive  de cette  race.
          Par contre, le nord tunisien et Bou-Salem, plus précisément, sont devenus progressivement une adresse infaillible de sloughis : Plusieurs éleveurs du sud et d’autres de différentes régions du pays (Nabeul, Hammamet, Nfidha, Sousse, Mateur, Bizerte…) sont venus et viennent toujours acheter des sloughis de Bou-Salem pour en faire la base de leurs élevages.


          Cela dit, il est indéniable que beaucoup d’intrus, qui sont uniquement intéressés par le profit que peut leur rapporter le commerce de sloughis, ont largement contribué à la dégradation de la race, surtout en l’absence d’un registre dans le pays.

          De plus, le changement du mode de vie des nomades constitue une des causes principales de la disparition progressive, lente mais certaine, du sloughi tunisien, surtout que personne ne semble se soucier de sauvegarder la race.

          Par ailleurs, un autre danger imminent risque de compromettre l’authenticité du sloughi tunisien : C’est celui d’importer des sloughis de l’étranger sans s’assurer que la race n’a pas été mélangée.

          Somme toute, on peut dire que l’avenir du sloughi tunisien reste incertain malgré la volonté de quelques personnes ou de quelques familles de préserver cette merveilleuse créature qu’est le sloughi. 



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